Annick Bilobran 

Présidente de l’Advule (Saint Amand-Longpré France)

Les volontaires ukrainiens engagés dans la Légion étrangère française

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Le 15 septembre 1939, l’ambassadeur de Pologne en France lance un appel à la mobilisation de tous les ressortissants polonais sur le territoire français.

Les Ukrainiens, originaires des territoires occupés par la Pologne, ont un passeport polonais et sont donc compris dans l’appel.

Le 29 septembre 1940, les hommes âgés de 17 à 45 ans résidant en France doivent se faire recenser. L’effectif représente environ 123 000 combattants ; un conseil de révision en date du 24 octobre 1939 n’en retient que 93 000. En effet, le gouvernement français décide de mobiliser 43 000 hommes sur leur lieu de travail dans les mines de charbon et de fer et les industries sidérurgiques du Nord, de l’Est et de Normandie. Le reste de l’effectif, essentiellement composé d’ouvriers agricoles est alors incorporé à partir du 17 novembre 1939 au centre mobilisateur de Coëtquidan en Ile-et-Vilaine suite à la réactivation d’un accord du 9 septembre 1939 qui permet la reconstitution d’une armée polonaise sur le territoire national.

Ces efforts aboutiront le 4 janvier 1940 à la signature d’un accord entre le président Daladier et le général, chef du gouvernement polonais en exil, Sikorski. Parmi les différents points de l’accord, l’armée polonaise, considérée comme une armée alliée sous commandement en chef de l’armée française, est autorisée à recruter parmi les émigrés polonais en France.

La mobilisation polonaise en France choque de nombreux Ukrainiens, devenus de fait citoyens polonais par leur passeport, qui se retrouvent face à un dilemme : refuser leur incorporation dans l’armée polonaise qui occupe leur pays et les a traités en citoyens de deuxième catégorie et par conséquent ne pas remplir leur devoir envers le pays qui les a accueillis ou accepter, malgré leurs idéaux d’indépendance. C’est ce que feront nombre d’immigrés d’origine ukrainienne.

La situation est complexe et la division des Ukrainiens entre indépendantistes, polonophiles et prosoviétiques ne contribue pas à la compréhension et à l’arrangement de la situation vis-à-vis des autorités françaises.page 51

Pourtant, la ténacité, un des traits caractéristiques des Ukrainiens, finit par payer. Après de nombreuses notes circonstanciées et des interventions personnelles auprès de divers ministères, le soutien d’officiers français et un long mémoire télégraphique au président du conseil, le bureau de l’union nationale ukrainienne finit par recevoir une lettre officielle accordant aux Ukrainiens le choix d’être incorporés dans l’armée polonaise ou de s’engager dans la Légion étrangère française.

Selon Myroslav Nebeliuk [1, p.24], plus de 7000 dossiers d’Ukrainiens sont passés par les bureaux de l’union nationale ukrainienne. 5000 hommes reconnus aptes au service armé ont alors signé un engagement dans la Légion étrangère et se sont pour la plupart retrouvés dans l’un des trois Régiments de Marche de Volontaires étrangers créés pour l’occasion, les 21è, 22è et 23è RMVE, anciennement les 1er, 2è et 3è RMVE désormais renommés, très souvent avec des Républicains espagnols et des ressortissants d’Europe centrale, quelques unités régulières de la Légion ou encore le Bataillon de Marche du Dépôt de Sathonay, unité éphémère constituée à Sathonay-Camp dans l’Ain pendant la campagne de France. Ce dernier, le bataillon de marche du dépôt de la Légion étrangère, est intégré au groupement du général de Mesmay.

Dans les rangs de la Légion étrangère, les Ukrainiens de France  « ont pris part aux combats dans les Flandres, sous Sedan, sur la Somme (mai 1940), puis sur la Seine, la Marne, la Loire et la Saône (juin 1940), laissant sur les champs de bataille des centaines de tués et de blessés graves. Beaucoup d’Ukrainiens se sont retrouvés prisonniers des Allemands » [4, p.28] d’après Myroslav Nebeliuk.

Toujours selon le même auteur, le « 11è Régiment d’infanterie de la Légion étrangère a été celui qui a compté proportionnellement le plus grand pourcentage d’Ukrainiens. Ce régiment a pris part aux combats près de Sedan, puis sur la Somme (…). Au combat, le 11è RI a supporté tout le poids de la bataille et a connu de grosses pertes ». Il est cité à l’ordre de l’Armée. Le 11è RI est dissous à l’armistice » [2].

Les deux citations à l’ordre du Régiment des frères Czorny, engagés volontaires dans le 23è Régiment de Marche de Volontaires Etrangers, témoignent du courage de ces étrangers. Ils participent à la bataille de Soissons le 7 juin 1940 et aux combats qui ont lieu à Pont-sur-Yonne les 15 et 16 juin le caporal Vasyl Czorny  « s’est distingué le 8 juin 1940 en s’acquittant d’une façon parfaite d’une mission périlleuse sous les feux de l’ennemi » [4, p. 29] et se voit attribuer la Croix de guerre avec étoile de .

Citation papaLe Lieutenant-colonel Aumoitte, commandant le 23è RMVE, dans son ordre du jour N° 17 récompense le courage decitation basile Volodymyr Czorny qui « malgré un violent bombardement de mortier est resté courageusement à son poste, tenant tête à l’ennemi et lui causant des pertes sévères » [4, p. 29]et le décore de la Croix de guerre avec étoile d’argent.

Le 17 juin 1940 le Maréchal Pétain lance un appel à la radio en demandant aux adversaires de mettre fin aux hostilités.

Pour préserver les civils, Lyon est déclarée « ville ouverte » le 18 juin 1940, les combattants doivent quitter la ville, ne pas faire sauter les ponts et laisser entrer les troupes allemandes dans la cité. Lyon « ville ouverte » perturbe bien sûr l’ensemble du dispositif militaire de la zone défendue par le Groupement du général de Mesmay. Les troupes du Groupement, légionnaires et soldats africains du 25è Régiment de tirailleurs sénégalais avaient reçu l’ordre de « résister sans esprit de recul » face aux troupes nazies bien supérieures en nombre et en armement. Alors se déroule l’une des dernières batailles de cette guerre déjà perdue puisque le chef du gouvernement avait demandé l’armistice. Le Bataillon de légionnaires avait perdu près de la moitié de ses effectifs. Beaucoup de volontaires étrangers étaient prisonniers et ceux qui ne l’étaient pas se repliaient vers le Sud en suivant le Rhône. Afin d’échapper à la capture et éventuellement de rejoindre une autre zone de défense, les légionnaires survivants se replient sur l’Isère en direction de Grenoble, en camions pour certains, à pied pour la plupart.

C’est alors qu’un groupe de marche de 900 Ukrainiens rejoindra la commune de Peynier, dans le Pays d’Aix et le canton de Trets, en attendant d’être démobilisés148 copie

Les combats prennent fin et le 25 juin 1940 le territoire français est découpé. La France est coupée en deux par une zone de démarcation, véritable frontière entre les deux zones, la zone occupée au nord et la zone libre au sud du pays.

La guerre est finie, mais pour autant, les Ukrainiens ne sont pas démobilisés. Enfin le 13 juillet 1940, le colonel Debas, commandant du Dépôt de Sathonay de la Légion étrangère, signe aussi son dernier ordre aux légionnaires et souligne, dans un style lyrique que, jeunes et vieux, de toutes nationalités et de tous les combats, ils n’ont pas démérité : « Je félicite les vétérans et les jeunes légionnaires du Bataillon de Marche de Sathonay qui défendirent Lyon, dans des combats à armes inégales, contre un adversaire supérieurement entraîné et équipé. Je remercie tous les engagés de quelques semaines qui connurent pendant les dures journées du repli sur Aix, les fatigues des étapes forcées, des gîtes mal assurés et qui placèrent toute leur confiance et leur foi en notre cause.(…) Que la vie soit clémente pour tous ceux, jeunes et vieux légionnaires à qui rien ne peut être reproché, qui ont par leur vertu militaire maintenu dans sa clarté l’émail de notre insigne de Sathonay et la pureté des couleurs de notre Drapeau» [4, p. 48].

A Peynier, les légionnaires ukrainiens séjourneront plusieurs semaines dans la forêt de la Garenne où des gravures sur un rocher restent, aujourd’hui encore, les témoins de leur séjour. Dans son « Journal » [3], Ivan Kurok écrit « Nous décidons de sculpter un Trident en souvenir du séjour en ces lieux de 900 légionnaires ukrainiens » [4, p.51].

Des ordres individuels de démobilisation signés par le major arrivent de Fuveau et Trets. Après des empreintes des deux pouces et/ou une signature, avec ou sans prime démobilisation, ils sont rendus à la vie civile. De là, chacun aura un parcours bien difficile pour rejoindre les siens ou trouver un emploi. Cependant certains patrons les sollicitent en leur promettant un contrat de travail.

L’épopée des légionnaires ukrainiens du Bataillon de marche s’achève dans le Pays d’Aix sauf pour ceux qui, comme Hrechko Czajkowki capturé le 10 juin 1940 à Montrecourt dans la Somme et envoyé au Stalag VIII C ou comme Mikhaïlo Solovyj interné à Wengi Buren an den Aare en Suisse, ne retrouveront la liberté que 5 ans plus tard.De nombreux Ukrainiens reprendront le combat en 1944 et 1945 en rejoignant la Résistance ou les maquis en France.

Certains des légionnaires de 1939-1940 intégreront à nouveau la Légion étrangère pour ne pas être rapatriés de force dans une Ukraine devenue dans sa totalité soviétique où règne toujours la terreur stalinienne.

D’autres verseront leur sang pour la France comme Ivan Moskalik, arrivé en France en mai 1929, qui, avec ses deux frères Basil et Michel, s’engage et passe par le camp de Sathonay où il est immatriculé sous le N° 6853. Affecté ensuite à la 1ère Compagnie de la 14è Demi-Brigade de Marche de la Légion étrangère, il se retrouve ainsi dans les rangs d’une unité de la France Libre. Combattant en Afrique du Nord et au Liban, il est blessé et décèdera le 14 janvier 1942.

En s’engageant dans la célèbre 13è Demi-Brigade de la Légion étrangère le 1er octobre 1944 et affecté à la Compagnie des canons d’infanterie N°13 pour la durée de la guerre après avoir été maquisard FFI, Ivan Ptaschetchniuk est l’exemple même d’un immigré ukrainien pour sa terre d’adoption et de son intégration dans la société qui l’avait accueilli.

Le FFI de Franche Comté, Alexis Yourachtchuk, signe un engagement de 5 ans le 25 octobre 1944 et est incorporé sous le matricule N° 17 707. Il retrouvera la vie civile le 24 octobre 1949 après un séjour au Maroc et en Algérie et obtiendra la nationalité Française le 25 août 1950.

Suite à un travail de recueil de la mémoire ukrainienne en France, Jacques Chevtchenko, historien et Président de l’Union des Français d’origine ukrainienne et Jean-Bernard Dupont-Melnyczenko, historien, localisent le Rocher de la Garenne dans la petite ville de Peynier (Bouches-du-Rhône).

Le 30 juin 2007, la municipalité de Peynier inaugure le sentier conduisant au Rocher : «Sentier des Volontaires Ukrainiens ».

L’année suivante, la Légion étrangère prend acte de cette découverte. Le 2 novembre 2008, elle reconnait officiellement l’engagement des Ukrainiens dans les combats menés durant la Seconde guerre mondiale en apposant une plaque commémorative en pierre de lave au pied du Rocher.

A ce moment-là, les descendants de ces légionnaires ukrainiens se sont regroupés dans une association : l’ADVULE (Association des Descendants des Volontaires Ukrainiens de la Légion Etrangère) qui a permis de retrouver, à ce jour, près d’une centaine d’Ukrainiens que l’on peut nommer et pour lesquels les familles ont pu témoigner de leur engagement par des photos et des documents.

Désormais, chaque 2 novembre, jour de commémoration des morts pour la Légion étrangère, après la sonnerie aux morts, l’hymne ukrainien retentit devant le Rocher lorsque la Légion étrangère célèbre le souvenir de ses morts et celui des légionnaires Ukrainiens en présence des autorités civiles et militaires.

Notes

  1. Nebeliuk, Myroslav. Під чужими прапорами. Sous les drapeaux étrangers (1939-1944) / Traduction de l’ukrainien Michel Bublinskyj. – PIUF, 1951.
  2. [Електронний ресурс] Lainé, Frédéric. http://fredlaine01.wordpress.com
  3. Kurok, Ivan. Journal d’un légionnaire-Fragments, in Myroslav Nebeliuk, ibid.
  4. Chevtchenko, Jacques. Légionnaires ukrainiens à Peynier et autres volontaires ukrainiens de la Légion étrangère : Eté 1940. – ADVULE : édition du 75e anniversaire, 2015.